[Les écritures du vide] Suite et fin

III/ La traduction du rêve


Le problème avec ma façon d’écrire, c’est que quand quelque chose me vient, l’inspiration si on veut, cela dépasse toutes les histoires. Je n’ai jamais une histoire en tête. Seulement des impressions, des sensations, des silhouettes, des cadres. La question que je me pose souvent, c’est comment caser telle ou telle vision dans l’enchâssement d’un récit. Comment canaliser ce flot brut, ce besoin irrépressible, et comment modeler une forme ? J’ouvre souvent des documents vierges. J’écris au hasard. Après, je me demande comment intégrer cette matière brute. Le soir, je suis traversée de rêves. Si vous avez déjà essayé de coucher un rêve par écrit, vous connaissez le genre de difficultés auxquelles je peux me heurter. Un rêve, pour moi, c’est avant tout une impression. Les mots ne correspondent jamais à ce vaste flou qui a pourtant tellement d’intensité. Organiser, planifier, caser, c’est parfois un sabotage du rêve. Mais il est aussi parfois nécessaire, car sans lui, il n’y a pas d’écriture. L’écriture n’est qu’une vaine et interminable traduction du rêve.

Il y aussi ceci de particulier dans l’écriture qu’il me semble que je doive traduire maintenant. Pas tout à l’heure, pas demain. Maintenant. Comme si le sens profond de mon émotion allait m’échapper dans quelques minutes, et c’est généralement le cas. J’en reviens au début de ma réflexion : quand j’écris, je suis toujours pressée.


IV/ Conclusion : la fin. (même si je parle d’un certain nombre de fins de série, je ne spoile pas, je ne donne que mon ressenti sur les fins en question)


Comment finir ? Chuck l’écrivain prophète de romans de gare (cf Supernatural, la série télévisée) devient enfin bon, avec cette fin. Toute sa sensibilité s’y exprime finalement. Les fins sont terribles, les fins sont impossibles, mais est-ce que quoi que ce soit finit jamais ?

Le mot juste. Toute l’écriture se résume à ça, et de même pour la traduction. Une recherche perpétuelle de la perfection linguistique. Vaine quête du Graal ? Parfois oui, parfois non. Certaines phrases sont si belles et limpides qu’elles sont propres à écrire une fin. Les fins me viennent plus facilement que le développement, et un peu moins que les débuts. Elles surviennent souvent dans le même jaillissement que les commencements, la vision brutale et pure arrachée des tripes par la musique. Mais lorsque arrivent les derniers mots, les instants ultimes de la mélodie qui ralentit puis s’éteint, je deviens maladroite et incertaine, tâtonnant dans le crépuscule de ma création. Il faut clore. Rendre un hommage digne à tout ce qui a précédé. Trouver une manière de dompter l’essence absurde de n’importe quel récit, afin d’achever sa transformation en histoire : une histoire, quoi qu’on en dise, ça a du sens. Et ça en a parce que ça a un début, un milieu, une fin. C’est un découpage apparemment arbitraire du temps qui aboutit à un tout cohérent. Cet ensemble permet de donner un peu de signification au Temps. Le temps sans fin, quelle qu’elle soit, n’est pas du temps. C’est l’éternité. Je vous donne un exemple : quand on regarde un film ou une série, l’impression finale, c’est ce qui va définir toute votre compréhension de l’oeuvre, ce qui va vous donner la véritable impression. Vous avez aimé le début ? Vous vous êtes ennuyés pendant le développement de l’intrigue ? La fin, pourvu qu’elle soit bonne, peut rattraper tout cela et donner un sens à ce que vous avez vécu. Par exemple, Six Feet Under (je fais ici une parenthèse pour expliquer une chose : si je me réfère souvent aux séries télévisées pour parler d’écriture ou de scénario, c’est pour la simple raison que beaucoup de séries me paraissent sublimer l’art de la narration) : j’ai adoré la première saison. Je me suis ennuyée dans les saisons du milieu, presque jusqu’à la fin. Puis il y a eu le dernier épisode. Cet épisode a donné son sens et sa portée à toute la série, même si elle s’égarait parfois dans des détours qui ne m’intéressaient pas. Un contre-exemple, maintenant : Lost. J’ai adoré toute la série. Le dernier épisode a réduit le sens et la portée de la série. Toute la mystique développée au long des épisodes se retrouve enfermée dans le carcan d’une vision idéaliste et bien trop chrétienne pour être universelle (comme la série l’était jusque là). Bien sûr, ces opinions n’engagent que moi, mais elles me permettent d’expliquer mon point de vue sur l’importance de la fin. J’ai parlé une autre fois de la fin des Tudors. Cette fin, si je la trouve si mystérieuse, c’est parce qu’elle prend un soudain recul historique : à la fois réduction de la vie de ce roi que nous connaissons maintenant intimement, et mise en perspective dans la vaste histoire humaine, nous permettant de faire correspondre ce personnage particulier à nos propres vies. Enfin, pour terminer ce petit tour d’horizon, la série qui montre par excellence comment une fin donne littéralement le sens à l’ensemble, c’est Battlestar Galactica. La fin nous donne la clé de toute l’histoire. Il ne s’agit pas seulement d’une information qu’on avait dissimulé jusque là, il s’agit du sens profond que les scénaristes ont voulu donner à l’histoire. Et son sens profond, ce n’est pas la découverte pour le téléspectateur, de, disons, qui est Cylon ou pas, mais de ce que toute cette histoire veut dire : pourquoi des Cylons, pourquoi des humains, pourquoi une guerre ? La fin, qui dans le cas de Supernatural aurait peut-être du être celle de la saison 5 (oui, oui, je suis un peu une geek en ce qui concerne les séries américaines), doit conclure, presque définitivement, un questionnement — quelque chose qui se joue souvent dans la tête des personnages, et non dans les événements décrits — qui nous tient en haleine pendant toute la durée de l’histoire. Quelle que soit la réponse — et les meilleures fins, selon moi, sont celles qui font douter — nous devons sentir que c’est la seule fin possible. Prosaïquement, nous devons sentir que l’histoire est terminée, qu’il n’y a plus rien à dire. C’est pour cette raison que je suis toujours si admirative devant les fins réussies : dit comme ça, ça ne vous paraît pas impossible ? Bien sûr, c’est possible dans la logique de l’histoire, mais justement, cette logique, on ne la comprend qu’à la fin si le truc est bien fait. Et les créateurs, le comprennent-ils eux aussi à la fin ? Parfois oui, parfois non (non, je ne suis pas normande). Mais saisir la logique d’une histoire, même si on l’a écrite, et je veux dire sa logique profonde, celle qui ne transparaît qu’à la fin, j’insiste, je crois que c’est un coup de maître en soi.

La fin, c’est toujours le plus difficile. Le plus absurde et le plus douloureux. Poser le point final, c’est toujours mourir un peu.


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