[Les écritures du vide] Quelque chose qu'on oublie dans les manuels d'écriture

Et ce quelque chose c'est... Nous-mêmes. En tant qu'individus. Être écrivain, comme toutes les professions artistiques, ce n'est malgré tout pas un métier comme les autres. Car il nécessite un investissement personnel incomparable. La plupart des écrivains ne travaillent pas pour être rétribués, car ils savent qu'ils ne le seront pas, ou trop peu.

On lit beaucoup d'articles de conseils aux auteurs, et certains sont très intéressants. Le problème ? Ils sont tous consacrés d'abord au style, et ensuite à la méthodologie. C'est bien. Mais ils ne disent pas que pour écrire, et surtout dans une optique professionnelle - et donc aménager son rythme et son mode de vie dans cette perspective - il faut avant tout se trouver soi-même. Je suis persuadée que personne n'arrivera jamais à devenir écrivain, c'est-à-dire à s'épanouir artistiquement et donc personnellement, s'il n'a pas trouvé d'abord ce que signifiait "écrire" pour lui. Sur mon blog perso, il y a cette citation de Rainer Maria Rilke, un poète et écrivain allemand, dans Lettres à un jeune poète, une compilation d'échanges épistolaires avec un jeune poète. Pour moi, cette citation est le début de tout :
"Rentrez en vous-même. Cherchez la raison qui, au fond, vous commande d'écrire ; examinez si elle déploie ses racines jusqu'au lieu le plus profond de votre cœur; reconnaissez-le face à vous-même : vous faudrait-il mourir s'il vous était interdit d'écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit : dois-je écrire ? Creusez en vous-même vers une réponse profonde. Et si cette réponse devait être affirmative, s'il vous est permis d'aller à la rencontre de cette question sérieuse avec un fort et simple "je dois", alors construisez votre vie selon cette nécessité; votre vie, jusqu'à son heure la plus indifférente, la plus infime, doit se faire signe et témoignage de cette poussée."
Une fois que j'ai répondu à cette question, j'ai avancé d'une étape dans mon chemin d'écrivain, qui implique des obstacles techniques mais aussi, et surtout, des obstacles moraux. Je veux dire qu'écrire est une aventure intime.

Je sais bien sûr que tout le monde ne la vit pas de la même manière. Mais. Un écrivain que je n'ai pas encore eu l'occasion de lire, Greg Keyes, a dit un jour qu'écrire, c'était la capacité à s'assoir devant un bureau et à s'y mettre. S'assoir. Écrire. D'une simplicité enfantine, mais ça résume bien pour moi tout le problème de l'écriture. C'est que ça ne vient pas tout seul. Non, je ne veux pas parler d'inspiration, car le problème est bien plus complexe que ça. L'inspiration, ça se travaille. L'inspiration, ça s'invoque. Quand je me mets à écrire, j'ai souvent l'impression de faire de la magie. La magie est une bonne métaphore dans le sens où je crois à l'importance des rituels. Chacun doit trouver les siens, de manière à faire monter l'écriture en soi. Parce que si vous vous asseyez à votre bureau pour écrire, il y a de bonnes chances que vous soyez assaillis par l'ennemi suprême de n'importe quel créateur : le vide. Il faut aller chercher l'écriture en soi, et la sortir par tous les moyens, des moyens qu'on doit trouver en soi. On doit trouver ses ressources, les identifier, et être capable de les mesurer. Cette démarche représente un travail qui tient beaucoup plus de l'introspection que du perfectionnement technique. L'écriture est un artisanat, mais c'est avant tout un art intellectuel. Et pour le pratiquer, il faut de la disponibilité mentale, il faut avoir l'esprit à ça, il faut pouvoir l'assumer, et surtout s'y investir. Il faut être capable de supporter la pression intérieure qu'engendre cette pratique, canaliser le déferlement qu'elle provoque parfois. Et il faut aussi savoir provoquer l'hémorragie, ou l'inspiration, si vous préférez.

Et puis, pour écrire, là encore pour en revenir à des choses bêtes et simples, il faut savoir quoi écrire. Et pourquoi. Le comment vient bien après, seulement après qu'on ait résolu ces deux premières questions. Bien sûr, on écrit beaucoup de choses avant d'avoir résolu tout ça. Mais je suis persuadée que la qualité de l'écriture tient énormément au degré de clarté de ces réponses.
Il ne suffit pas de s'entraîner, ni de le vouloir. ça, c'est une idéologie américaine à la con qui a oublié que vivre prenait du temps. La culture du résultat, y compris en art - combien d'artistes, j'imagine, se sentent pris à la gorge parce qu'ils ne produisent pas assez ? - nous détourne parfois du plus important. Et ce qui importe c'est ce qu'on va écrire. Quelque chose de bien, ou un truc vite fait histoire de se prouver qu'on a pu l'écrire, ou bien qu'on a écrit parce qu'on était trop impatient, sans se poser les bonnes questions ?

Non, pour écrire, il ne suffit pas de le vouloir, même très fort. Il faut en avoir pris la décision profonde, existentielle, même. Il faut ensuite se trouver en tant qu'écrivain. Quel écrivain est-on ? Quel rapport entretient-on avec l'écriture ? Et surtout, définir ce qu'on veut faire, ce qui nous satisfait, tout simplement ce qui nous rend heureux. On ne doit pas seulement s'adapter à son métier. Il faut l'adapter à nous. Il faut se l'approprier. Je veux dire que le rapport qu'on a à l'écriture ne va pas de soi. Il faut le construire. Savoir quand on aime écrire, et dans quelles conditions. À partir de là, on peut créer des conditions d'écriture. Et là, peut-être écrire plus, mais en tout cas, certainement écrire mieux.

L'écriture est un cheminement solitaire, et cette route est longue, très longue. Il n'y a pas d'immédiateté, de facilité, de productivité. Il n'y a que des carrefours, des questions, des hésitations, des tentatives.

C'est ce cheminement, notamment, qui m'a permis enfin de cerner quelque chose qui me gênait dans mon écriture sans que je sache vraiment définir quoi. Je vous le raconte en guise d'exemple, car il m'a fallu du temps, beaucoup de temps, pour identifier ce problème qui m'était propre : c'était quelque chose que je devais trouver de moi-même.

En effet, j’ai l’impression de comprendre peu à peu ce qui cloche dans mes histoires : je les écris souvent comme un script, d’une façon ébauchée, inachevée. Je n’entre pas dans l’action, je reste en surface, parce que j’imagine d’abord, et je ne mets pas en scène en suite. Je reste dans l’abstraction au lieu de manifester ce que j’ai exprimé d’un point de vue abstrait, de pure pensée. Je n’écris que des pensées. Pas des actes. Et je crois que cela me fait perdre en efficacité. Ce que je veux, c’est trouver des symboles. Faire parler mes pensées. Non pas simplement les écrire, mais les faire exister dans mon histoire, si bien que je n’aurai plus besoin de les écrire, car c’est l’histoire qui parlera d’elle-même. C’est peut-être aussi cela que je trouve tellement parfait dans la musique. Et dans les séries que j’admire. L’une comme les autres ne dissertent pas. Elles montrent. Elles manifestent. Elles font exister, physiquement. Et pourtant, elles sont d’une richesse et d’une profondeur inépuisables. Et c’est ça qui m’énerve. Je n’ai pas encore appris à faire exister mes pensées en dehors d’elles-mêmes. Incroyable moment de lucidité, je ne pensais même pas en être capable.

Comme quoi... Pour ma part, le journal d'écriture est utile, voir indispensable. Parce qu'il me raconte mon propre parcours, et me permet de comprendre non seulement mon rapport à l'écriture, mais de le créer, et de le développer.
Voilà, je pense donc qu'il est nécessaire et bénéfique de réfléchir à son rapport à l'écriture avant même de vouloir changer son écriture telle qu'elle se manifeste, c'est-à-dire dans son aspect technique. D'abord le pourquoi, et le quoi. On en comprend ensuite d'autant mieux la technique.

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