2 août 2011

Quand on s'imagine écrire, c'est toujours sereinement, assis confortablement à son bureau avec les idées qui affluent, comme Buffy qui dit qu'elle s'imaginait qu'elle étudierait comme dans un film, avec des plans d'elle concentrée sur son travail, et des ellipses au lieu des heures de concentration... La réalité est plutôt une bataille, écrire n'a rien de serein. Il faut aller chercher les idées, les développer, suivre leur fil ténu avant qu'il ne s'évapore, les rattraper et les enrouler comme une bobine de fil. On passe beaucoup de temps à se relire et à changer des virgules. On soupire et on s'agite beaucoup. Et l'histoire prend forme peu à peu, sans même qu'on s'en rende compte. Le plus important, surtout : écrire n'a rien d'une démarche linéaire comme on voit des les films. Ce sont des sauts en avants, des retours en arrière intempestifs, des digressions, des décrochages, des abandons, des reprises. Souvent, quand j'écris, j'ai l'impression de faire de la couture. De rapiécer. De lier les fragments les uns aux autres. De les faire coïncider. De les travailler pour que le fil suive une ligne harmonieuse. Je pense qu'il faut avant tout admettre et accepter cette réalité discontinue, qui est celle de l'écriture comme de toute autre réalité. Il faut accepter l'effort et la retouche, l'incertitude qui prédomine toujours, la volatilité des idées et de la concentration. Il faut peut-être même jouer avec, en faire un avantage. Beaucoup de professionnels de l'écriture vous diront que pour écrire, il faut un lieu et un moment. C'est vrai. Mais il faut aussi les créer, n'importe où, n'importe quand. Et il ne faut pas focaliser sur une plage de temps à remplir d'écriture. Il faut, somme toute, s'accommoder du chaos.


Autre problème d'écriture : pour ma part, je ne me sens pas tellement capable de rivaliser avec l'intelligence de mon lecteur. Alors je me demande comment je serais capable de le surprendre. J'ai trouvé deux réponses à cette question : la première, c'est toujours l'éternel règle du savant dosage d'information : lesquelles, à quel moment, et en quelle quantité. Il n'existe aucune recette pour cela. Je crois que l'apprentissage est pour l'essentiel purement empirique. Les conseils d'écriture, sur ce point, me semblent surtout être là pour faire prendre conscience de ce problème. Même s'il y a des pistes pour le résoudre ; comme souvent en écriture, cela reste un savoir-faire qui s'acquiert avec le temps, par la pratique, ce genre de savoir instinctif qui fait dire « ça, c'est bien », ou « c'est mauvais », parce qu'on le sent et que ça se passe d'explications, quand bien même on pourrait on trouver. La deuxième réponse est plus simple, et bêtement terre à terre : un scénario complexe, ça se travaille. Plus ou moins longuement selon les capacités naturelles de chacun à construire une histoire. Il faut essayer différentes pistes, voir ce qui fonctionne. Et je pense aussi qu'il faut chercher à écrire une histoire qu'on aimerait lire. Essayer d'aborder son histoire avec un esprit neuf, et savoir repérer les solutions de facilité apprises à force de lecture. Chercher à se rappeler les solutions originales auxquelles on a pu être confronté. Un exemple : la fin de la série les Tudors.


SPOILER

Je ne m'attendais pas du tout à une telle fin. Je m'attendais à des funérailles grandioses, à des gens en pleurs, à assister à la succession sur le trône ; bref, à une fin hollywoodienne (non que je soupçonnais la série d'être hollywoodienne, c'était juste une habitude de spectatrice). A la place, la série se termine sur une scène symbolique plutôt que sur un événement : le roi découvre le portrait qu'Hoblein a peint pour lui. Cela permet de conclure l'épisode qui avait amené une réflexion sur le temps, la seule chose que le roi ne peut rattraper, ne peut compenser. Dans cette épisode, il est hanté par les femmes de son passé, et sait sa mort proche. Il dit à son homme de confiance qu'on peut tout rattraper : on peut se refaire une réputation, on peut recouvrer un honneur perdu. Mais la perte du temps, elle, est irrémédiable. Il n'y a même pas de mots dans cette dernière scène : juste des images du passé et cet immense tableau représentant Henry VIII.

Je me rappelle de cette fin comme d'un exemple, d'un parti pris : l'intensité émotionnelle plutôt que le spectaculaire. Je ne dis pas pour autant que les fins spectaculaires, c'est mal, attention : tout dépend du propos et de ce qui a précédé.

SPOILER


Enfin, une dernière remarque qui me vient à l'esprit : laissez libre cours à vos manies ! Inventez-vous-en ! Les petits rituels sont ce qui nous permet, je crois, de garder l'équilibre au quotidien. Et l'écriture, c'est de la magie. Une magie qu'il faut invoquer avec prudence. C'est un pouvoir qui se déploie, qui se nourrit, s'apprivoise. Donnez-vous les moyens de réveiller ce pouvoir. Accomplissez vos rituels, assouvissez manies et habitudes. Je crois que l'écriture a besoin de confort et de sécurité pour s'épanouir. Alors il faut la laisser faire. Si on veut s'y consacrer, alors je crois qu'il faut aussi accepter qu'elle prenne ses aises dans notre propre vie, même si ça signifie des yeux cernés, un état léthargique ou des réponses pas toujours franchement aimables aux questions et remarques de notre entourage. Il faut accepter la manière dont on vit son écriture. Une fois qu'on l'accepte, qu'on se connaît, qu'on comprend, je crois que c'est beaucoup plus facile à assumer – j'ai la vague impression de rédiger un dépliant pour une quelconque secte bien-être, mais bon, tant pis.


Voilà donc quelques pensées, je vous laisse à vos stylos, ustensiles de cuisine, claviers ou tout autre instrument de labeur ou de plaisir, ou parfois des deux !

2 commentaires:

  1. "Il faut, somme toute, s'accommoder du chaos."

    J'aime beaucoup cette idée, je suis assez d'accord.

    En revanche, chacun a son style et sa méthode d'écriture. Moi j'écris de manière linéaire "comme on voit dans les films". ;) Et je me relis juste une fois à la fin, pour les coquilles et les détails qui ne passent vraiment pas.

    RépondreSupprimer
  2. Ce doit être agréable d'écrire comme dans les films ! :)
    Merci pour ton commentaire :)

    RépondreSupprimer


Contrat Creative Commons

Ce site web et son contenu sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France.