Je découvre avec une sincère surprise
que ce qui me bloquait, ça n’était pas que je n’avais rien à
dire. Ça me semble évident au bout de trois heures d’écriture :
j’ai plein de choses à dire. J’étais tellement effrayée avant
de commencer ce roman. Je m’en sentais incapable. Et puis j’ai
commencé, sans déclic particulier. J’ai eu une idée, je me suis
dit que c’était la bonne. J’ai écrit les premières lignes en
suivant mon instinct. Et tout le reste a suivi, me réservant de
multiples surprises. Je ne croyais pas si bien dire quand je
déclarais que l’essentiel du travail était assuré par mon
inconscient, et qu’il finirait tôt ou tard par s’exprimer.
J’ai l’impression que commencer ce
livre débloque quelque chose de fondamental, comme s’il ouvrait la
porte à tous les livres possibles qui mijotent dans ma tête. En
fait, l’écrire est une véritable libération. Je suis bien plus
libre qu’au sein de la nouvelle, qui s’est révélée une
excellente école d’écriture, mais jusqu’à maintenant, je ne
m’étais pas aperçue à quel point elle était contraignante. Et
là, d’un coup, je voyage sous des cieux grand ouverts, aux
horizons vastes et éloignés. J’écris en laissant mon écriture
me mener. C’est assez inédit, du moins dans ces proportions. C’est
grisant.
Le truc c’est qu’il n’y aucun
sens prédéfini, ni aucun de sûr. C’est peut-être ça qui fait
la réelle beauté de toutes ces histoires, suspendues, dérivant
dans le temps, touchant à l’universel sans qu’on sache pour
autant pourquoi exactement elles nous bouleversent.
Le sentiment de se vider jusqu’à la
dernière goutte. Et de continuer à agiter la bouteille. Est-ce que
le flot est vraiment tari ? J’ai toujours du mal à en être
certaine. Je continue à me sentir habitée. Mais cela peut
continuer. Ce qui cesse, c’est le flot des mots. C’est là que
tout s’arrête, et que je dois lâcher à regret. Car les mots ont
à peine à rattraper la sensibilité, peinent à décrire ses
profondeurs, et l’esprit lui-même peine à synthétiser
l’entièreté de ce qui lui brouille la vue.
J’ai vraiment l’impression de
l’avoir en moi, ce livre. Et tous les autres à venir. Cette
impression quasiment de voir au-delà de mes perceptions habituelles.
De percevoir, à travers le temps, comme si son aspect linéaire
n’était qu’une partie de sa réalité.
Je réussis enfin à écrire parce que
j’ai cessé de discourir. Discourir, c’est intellectualiser. Il y
a une autre manière de parler. En ce moment, quand j’écris, je
n’ai pas l’impression de construire un raisonnement, de manier
des idées selon un montage artificiel. Car le raisonnement
philosophique est un jeu, il est d’ailleurs assez amusant. Mais ce
n’est qu’un jeu. J’arrive à parler sans discourir. Et du coup,
je me découvre soudain bien plus de choses à dire. Discourir, c’est
extraire a posteriori le sens. Écrire, c’est le découvrir
à mesure que l’on parle.
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