[Les écritures du vide] Progressions

...et expérimentations

En ce moment, je touche à tout. J’expérimente différentes façons de transmettre une histoire dans mon recueil sur la forêt (voir le prologue plus bas sur cette page) : l’enfant qui parle, le père qui raconte une histoire à ses enfants, la jeune fille qui écrit une lettre à son frère, le récit au passé, au présent. Tout cela avec une contrainte de taille : un seul point de vue. L’idée est la suivante : il s'agit de récits se déroulant tous en forêt, qu’on s’échange lors de veillées. Chaque personne raconte donc sa propre histoire. Au sein de cette contrainte, j’essaie de tester différentes possibilités de narration.

Mais je varie aussi les genres. Toujours sur un roman que je qualifierais de dark fantasy, avec une influence certaine venue du cycle d’Elric (c'est un roman à quatre mains dont mon homme écrit le scénario), je me lance également pour la première fois dans une nouvelle de pure fantasy, avec un monde inventé, de la magie et des épées. Ces références aux genres ne sont là que pour expliquer ce que j’écris en ce moment. Le genre ne précède pas l’histoire, c’est plutôt l’histoire qui l’appelle, et bien sûr mon envie de tester les différentes saveurs de toute la gamme littéraire. J’aime la contrainte, du genre en particulier. J’aime les contraintes narratives. Cela resserre mon récit, lui donne un cadre. Mais d’abord, vient toujours l’idée, le ressenti. Mais un ressenti tout seul ne vaut rien. Il lui faut un cadre pour s’exprimer : un peintre ne peint pas dans l’univers tout entier, mais dans les limites d’une toile. Je fais pareil. Et je suis toujours adepte de l’idée baudelairienne selon laquelle la contrainte peut, potentiellement, faire rejaillir l’idée plus forte, plus intense. Tout cela, bien sûr, sans parler du plaisir ludique à essayer, à jouer. Dans un jeu, il y a toujours des règles, et c’est ça qui le rend si amusant.

Dernier point enfin, ce qui me taraude en ce moment, c’est de tester des idées. De mettre en récit des réflexions.
Exemple.
Ces temps-ci, je réfléchis au personnage du barbare, je dois le dire, parce que la série Game of Thrones m’y a incitée, puisque j’ai particulièrement adhéré au personnage de Khal Drogo (même si je suis une très grande fan de sa femme, qui est sublime dans tous les sens du terme, mais son personnage nécessiterait tout un livre, et je ne m’y suis pas encore attaquée ;). Le barbare, donc : c’est cet absolu d’action, sans arrières pensées, cette force brutale et primitive dans l’âme et le corps. Je crois que c’est cela qu’essayait de dire Howard, une pensée nietzschéenne déformée par les idéologies nationalistes. Les nations n’ont pourtant rien à voir avec cela : la nation délimite, légifère. Alors qu’on parle d’un domaine où les frontières s’effondrent et la loi n’est plus qu’un mot sans importance. Une vue de l’esprit, qui n’a pas le pouvoir de contrecarrer l’impulsion vitale.
Mais comment concilier cela avec, justement, cette esthétique de la morale ? La morale est-elle un absolu ? Le personnage du barbare est-il un absolu de la morale ? En un sens, oui, j’en suis persuadée. La beauté de l’action réside dans le fait qu’elle soit une valeur incarnée, une valeur en mouvement, une valeur qui n’est plus une vue de l’esprit comme la loi, mais un fait, un phénomène.

Voilà. Eh bien, je commence à explorer ces pistes dans une nouvelle pour un appel à textes : celui de Griffe d’Encre sur le feu. Les deux thématiques ont fini par se rejoindre naturellement dans mon esprit. J’avais bien envie d’essayer cet appel à textes, car les thématiques élémentaires me séduisent, mais je n’avais guère d’idées. Et puis, les deux réflexions séparées ont fini par trouver un point d’appui commun. On va voir ce que ça donne.

Je parle toujours de ce que je fais mais vous n’en voyez pas grand-chose, parce que les processus d’écriture et de publications prennent souvent un temps désespérant, mais du coup, j’ai quand même eu envie de vous livrer un aperçu du travail effectué en ce moment. Vous trouverez donc dans la section « Textes » une nouvelle inédite destinée à mon recueil sur la forêt (que j’appelle comme ça parce qu’il n’a pas encore de nom). Pour info, ce recueil compte pour l’instant une demi-douzaine de nouvelles dont quatre que je considère comme achevées. Je travaille actuellement sur l’organisation et le remaniement de deux d’entre elles.

Notamment au programme : une réécriture des Bacchantes d’Euripide, où Dionysos, chassé par le roi d’une cité qui n’a pas reconnu le dieu, se venge en faisant entrer les femmes de cette ville en transe. Celles-ci partent dans les bois et se baignent dans le sang des animaux, et tuent accidentellement le roi, croyant qu’il s’agit d’un animal. C’est une histoire que j’aime beaucoup, car elle a beaucoup à raconter sur les frontières entre l’homme et la forêt, la loi et le chaos, sur le sens de la transe et surtout sur Dionysos, le dieu de la totalité, de l’absolu, de l’indifférencié, par essence opposé à la Cité, la loi, l’ordre humain.

Mais pour l’heure, bien que vous y retrouverez évidemment ces thématiques (puisqu’elles font partie de mes questionnements), je vous propose une nouvelle inspirée de l’Angleterre du Moyen-Âge : Newforest, paradoxalement la plus vieille forêt d’Angleterre, a abrité de nombreux nobles expropriés par le roi William (Guillaume le Conquérant), vivant comme des brigands. J’ai repris cette idée et y ai ajouté une présence sylvestre qui, telle Dionysos, dépasse l’humain et ses tentatives d’organiser le monde. À vous de juger, et n’hésitez pas à me faire part de vos réactions !

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